Ainsi le 19ème siècle fut-il un siècle rétrograde pour la femme (voir billet « Homme fort, femme faible ?« ) !
Je pense que ça peut se deviner dans l’habillement de l’époque. Après l’excentricité des Merveilleuses du Directoire (voir « Liberté, Egalité, Sexualité ?« ) et les robes ouvertes au ras du téton des dames de l’Empire (cf « Les vertigineux décolletés de l’Empire« ), les femmes de la Restauration, du Second Empire et de la Troisième République remontent leurs cols et ferment les boutons.
Jean Béraud – La Pâtisserie Gloppe – 1889 – Musée Carnavalet, Paris – Source : Wikimedia Commons
Ce n’est pas parce qu’il fait froid que les clientes de la pâtisserie Gloppe sont couvertes de la tête aux pieds (regardez bien : seule la peau du visage et des mains dépasse !) mais parce que c’est comme ça qu’il faut s’habiller. Les promeneuses peintes en 1909 par Joaquin Sorolla sur une plage ensoleillée n’exposent pas plus de peau. Vérifiez toutes les peintures et tous les daguerréotypes que vous pourrez trouver ! C’est toujours ainsi. Pendant un siècle, entre l’Empire et les Années Folles, le corps des femmes est entièrement camouflé dans des vêtements qui ne laissent à nu que la tête et les mains. Remarquez que c’est la même chose pour les hommes, engoncés dans leur costumes.
Il existait cependant pour les femmes, dans ce monde sans chair apparente, un moment d’exception ; Un moment où il fallait découvrir sa poitrine et ses épaules : Le bal.
Charles Chaplin – « Prête pour le bal masqué » – Collection particulière – Source : artmight.com
J’ai longtemps cherché une scène de soirée parisienne comme parallèle à la scène de jour de la pâtisserie Gloppe. Je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Il y avait bien le « bal » de Julius Leblanc Stewart (1855-1919) mais faute d’informations précises sur cette oeuvre (Est-ce une photo colorisée ? Quand fut-elle réalisée ? Où se passe ce bal ?…), j’ai laissé tomber. Quant au tableau « Une soirée » de Jean Béraud (1848-1935), il montre plus les hommes que les femmes.
A la place, je suis heureuse d’afficher une oeuvre assez peu connue de Chaplin (1825-1891), peintre portraitiste de grand talent, très intéressé par les épaules et les poitrines, ainsi que par les très jeunes filles, leur colombe et leur nid (il faudra absolument que je consacre un billet à cela !). Le tableau représente une jeune femme prête pour le bal (masqué) et vêtue d’une robe profondément ouverte.
Je ne résiste pas au plaisir d’ajouter le portrait d’une autre jeune femme dans une robe de bal, également avec un « grand décolleté » (le nec plus ultra du décolleté, qui dégage les épaules) exécuté par Berthe Morisot (1841-1895).
Berthe Morisot – « Au bal » ou « Femme à l’éventail » – 1875 – Musée Marmottan-Monnet, Paris – Source : the-athenaeum.org
La « jeune femme en robe de bal » du musée d’Orsay, peinte 4 ans plus tard par la même Berthe Morisot, vaut également un clic.
Dans « Pudeurs Féminines » (Editions du Seuil, 2010, pp 227-230) Jean-Claude Bologne expose la complexité des codes de l’habillement féminin à la fin du 19ème siècle. La robe à grand décolleté est le vêtement qui convient (en latin decet) pour le bal. C’est le vêtement décent pour l’occasion. Mais certaines femmes ne le trouvent pas assez pudique et réduisent l’échancrure du col ou le couvrent d’une étoffe. D’autres remontent franchement leur col. La jeune femme en jaune peinte dans « Evening » par James Tissot en 1885 fait de toutes évidences partie de ces bêcheuses au « collet monté ».
Notez que la robe décolletée est en fait une robe de sortie ou robe du soir. Elle s’utilise pour le bal, bien sûr, mais aussi pour le théâtre, pour l’opéra ou pour un dîner mondain. L’Américaine Mary Cassatt (1844-1926), une élève de Charles Chaplin, a peint plusieurs portraits de femmes à l’Opéra de Paris :
Mary Cassatt – « Woman (vraisemblablement Lydia, la soeur de Mary) with a Pearl Necklace in a Loge » ou « Dans la Loge » – 1879 – Philadelphia Museum of Art – Source : Wikimedia Commons
PS : Les illustrations que j’ai choisies nous ont emmenés dans le petit monde de la bourgeoisie et de l’aristocratie parisienne. La situation était tout à fait similaire dans la haute société des autres pays européens (cf « Hush ! » de James Tissot qui nous présente une soirée mondaine à Kensington en 1875). Quant au « petit peuple », qu’il soit parisien ou provincial, sa garde-robe était plus limitée et sûrement pas plus déshabillée.