Madame X a un nom et ce n’est pas un secret : Il s’agit de Madame Pierre Gautreau, pour celles et ceux qui aiment donner aux femmes le nom de leur mari (Il y en a qui semblent penser que, pour une femme, tout change le jour de son mariage). Nous l’appellerons donc Virginie, fille du Major Avegno.
John Singer Sargent - "Portrait de Madame X" - 1884 - Metropolitan Museum of Art, New-York - Source : site du MET (cliquer l'image)
Gautreau ou Avegno, tout cela importe peu (X, c’est très bien). De même qu’il importe peu de connaître les raisons pour lesquelles cette Louisianaise s’expatria en France et épousa le sieur Gautreau, banquier de son état. Ce qui nous intéresse, en revanche, c’est que ce portrait a été peint par John Singer Sargent (1856-1925), le prolifique artiste américain aux 900 toiles et 2.000 aquarelles (selon l’article de Wikipedia qui lui est consacré) et que ce peintre déjà connu sur la place parisienne appela son tableau « Portrait de Mme *** » pour protéger le modèle (Mme Gautreau) du scandale.
Scandale ? Quel scandale ? Et bien oui, il avait bien prévu le coup, John. Le tableau a fait effectivement scandale au Salon de 1884 à Paris. Les critiques ont fusé de toutes parts. Ecoeuré, le malheureux Américain a quitté Paris et s’est installé à Londres. Je n’ai toujours pas bien compris pourquoi un tel scandale ! … Etait-ce à cause du décolleté ? Sargent l’avait pourtant « assagi » en ajoutant une bretelle par rapport à une esquisse précédente visible à la Tate Gallery à Londres (ci-dessous-cliquer l’image pour voir l’original sur le site du musée).
Cette toile a certes quelque chose de rare : l’absence de décor pour mettre en valeur le modèle, l’étrange vrillage du bras droit, le choix d’un portrait de profil, le contraste entre la robe, noire, et la peau, blanche. La peau blanche… On pense (et ce n’est sûrement pas un hasard) à la Galatée inaccessible de Polyphème (voir « Adoration, le cas Daphné« ) ou à l’idéal de beauté sculpté par Pygmalion (voir « Adoration, le cas Galatée« ) . Bref, cette toile est originale, sensuelle, pleine de sous-entendus mais méritait-elle un tel tir de barrage ?
Tout cela semble maintenant complètement aberrant. J’aime cependant la « petite histoire » derrière cette toile : Le fait que Sargent trouvait Virginie si jolie qu’il l’a longtemps poursuivie pour qu’elle accepte de poser pour lui , le fait qu’il a conservé le tableau (qu’il considérait comme une de ses plus belles oeuvres) bien en évidence dans son atelier, le fait qu’il l’a finalement vendue au MET en 1916, quelques temps après la mort de sa Galatée.
John Singer Sargent peignant dans son atelier - Photographie attribuée à Auguste Giraudon - Source : lediteursingulier.blogspot.com
[Le blog lediteursingulier a mis en ligne plusieurs photos noir et blanc de peintres dans leur atelier. Très intéressant]