Otto Dix (1891-1969), gardien de la vertu (cf billet « La vulve / prostituée de Dix ») ? Je ne pense pas. Certaines de ses oeuvres pourraient même nous laisser croire, de prime abord, qu’il était plutôt « déviant ».
D’abord, que penser de cette peinture de petite fille complètement nue, à la peau diaphane ?… étrange ! Pourquoi le ruban rouge dans les cheveux ? S’agit-il d’une enfant prostituée, comme la petite prostituée au noeud rouge (coiffée également avec une natte) peinte la même année ?
Et que penser du « Rêve du sadique », représentation gore de femmes écartelées et sanguinolantes, sous les yeux satisfaits d’une dominatrix à fouet ?
Enfin, que penser des nombreuses représentations de crimes sexuels peintes par Dix (ainsi que d’autres artistes de l’époque comme Georg Grosz) ?
Je n’ai aucune réponse à apporter mais je vous propose quelques axes de réflexion. D’abord, les tableaux les plus sexuellement malsains de Dix ont tous été peints en 1922, au plus fort de l’épouvantable crise économique qui a secoué l’Allemagne de 1919 à 1923 (hyperinflation, chômage, pauvreté). De très nombreuses femmes se sont prostituées à cette époque pour gagner leur vie : d’après Mel Gordon, auteur de « Voluptuous Panic: the Erotic World of Weimar Berlin », entre 5.000 et 120.000 femmes tapinent à Berlin à cette époque. Il y a de tout, pour tous les goûts : des professionnelles et des occasionnelles, des mères avec leurs filles, des enfants, des femmes enceinte, des femmes diformes, des call-girls, des spécialistes de la pipe pas chère, des pros du SM. Les 300 « Boot-girls » (filles à bottes) de la place Wittenberg, des dominatrices expertes en flagellation, humiliation et sodomisation de leurs clients mâles, ont marqué les esprits. La prostitution homosexuelle est également extrêmement développée (35.000 hommes tapinent !).
Y a-t-il une crise de la masculinité, de la place des hommes dans cette société allemande où les anciens combattants sont souvent estropiés ou diminués, où les bourgeois sont souvent des profiteurs adeptes de l’humilation SM aux mains des femmes, où les homosexuels affichent par milliers leur sexualité dans les parcs et les cabarets, où les hétéros se payent des enfants ou des femmes enceinte ?
Y a-t-il une crise de la place des femmes, quand la prostitution devient un travail « ordinaire » ?
Otto Dix dresse-t-il un portrait glauque mais juste de la société de son époque ? Dénonce-t-il cette société ? Y trouve-t-il aussi du plaisir ? Cherche-t-il une forme de revanche masculine sur les femmes ?